- Hey Telv. Toujours vivant? Je croyais que tu étais déjà mort.
Dels sourit grandement. Cette larve, qui ne méritait même pas qu'on l'appelle Tavlek, parasitait la communauté depuis maintenant plus de 8 cycles. Il était, comme punition, le souffre-douleur de toute la communauté. En particulier face aux jeunes ayant deux années de plus. Dels était le "chef" des jeunes Tavleks, par force et popularité. Le fait qu'il se soit distingué aux épreuves physiques un cycle avant le temps a dû aussi faire pencher la balance de son côté. Au moins une fois par 60 arns, il venait piquer au vif la honte de la tribu. C'était une façon très efficace d'affirmer sa suprématie et de s'attirer les faveurs du reste de la bande.
- Avec un père aussi faible que le tien et une mère pareille, leur fils ne peut qu’être une larve! renchérit-il.
- Répète ce que tu viens de dire, Dels, répliqua l'interpellé.
- Tu n'es qu’une larve, minus!
Avec une rapidité insoupçonnée, la "larve" lui asséna un solide coup de poing. Il était beau être faible, il n'en était pas moins Tavlek. Le coup fit tomber Dels au sol. Se reprenant, il jura de frustration.
- Tu vas me le payer, fils de père sans honneur!
Les deux autres membres de la bande se rassemblèrent autour du fautif pour lui faire ravaler sa fierté. Comme seule réponse, Telv eut un sourire mauvais. Son assurance fit hésiter ceux qui participaient à la rixe, mais ça ne prit pas de temps avant qu'ils commencent à faire pleuvoir les coups tout autour du paria. Telv laissa échapper un cri de défi en se débattant comme un beau diable. La cible principale n’était pas un guerrier légendaire, mais il avait appris à encaisser les affronts et les blessures. Dels appréciait cela.
Le plus long que durera le combat, le plus de prestige j'en aurai à te mettre à terre, minable. Il pensait cela alors que quelques adultes, dont son père, s'approchaient du lieu de la bagarre afin de juger des capacités des jeunes têtes de la tribu. Mais le combat ne tourna pas en suivant la voie qu'il s'imaginait. Au plus fort du combat, Telv, les yeux masqués par son propre sang, toucha par chance un nerf que Dels s'était retourné il y avait moins de 10 arns, l'expédiant illico au tapis, tremblant de douleur. L'assaillant en profita pour prendre le dessus et faire tomber les deux autres. Il s'en alla, ricanant et crachant des caillots de sang en même temps, donnant des coups de pieds au passage aux enfants gisants.
- Les larves, ce sont ceux qui sont à terre, pas ceux qui marchent.
Se remettant de la douleur, Dels se releva. Il regarda son père, comprit son expression, baissa sa tête et s'en alla calmer sa frustration, laissant les deux autres à terre.
Plus tard, le jeune Tavlek se retrouvait dans l'espace d'entraînement, assénant des coups de poing de plus en plus rageurs sur un billot de bois placé là spécialement pour les épreuves de force. Le morceau de bois, de l'épaisseur égale au tour de taille d'un adulte bien constitué, tremblait et craquait légèrement à chacun de ses coups. Son père, un guerrier honorable du nom de Rorc, entra dans l'espace à son tour.
- Tu t'es fais battre, Dels.
- Je sais, Rorc, dit-il en tapant de plus belle.
- M'as-tu déjà vu tomber contre un de mes ennemis?
- C'était un coup de chance!
- M'as-tu vu défaillir devant les dangers?
- Cette larve ne devait pas me battre!
- Est-ce que j'ai une fois, sous tes yeux, trahi notre honneur?
- Il a profité d'une de mes faiblesses!
- ALORS N'AIES PLUS DE FAIBLESSES!
Un coup de pied. Un simple coup de pied au thorax et l'enfant en avait déjà le souffle coupé. Il ne tomba pas. Pas plus qu'au second coup, visant la nuque. Il para, esquiva, mais surtout, il endura. Il devait endurer. Il devait prouver qu'il savait encaisser encore plus de souffrance que la honte du village. Plus de souffrance que n'importe qui dans le village. Pour enlever les plaies à son orgueil, il devait apprendre à ne plus ressentir celles de son corps. Après un vingtaine de coups pourtant, le père fut satisfait.
- Continue à frapper sur le tronc, et ne reviens pas vers moi avant de l'avoir brisé. Tu m'emmèneras également le morceau brisé. S'il n'est pas assez grand, tu recommenceras.
Dels frappa. Puis frappa. Il frappa encore. Il frappait, même si ses jointures saignaient abondamment, même si ses phalanges le faisaient souffrir. Et à chaque fois qu'il frappait, il voyait le visage de Telv. Il fallait être meilleur. En tous points. À chaque situation.
Toujours.
Le billot se fendit. Sans aucune considération pour ses doigts endoloris, il empoigna le morceau qui avait cédé et partit en direction de la tente de son père. L'étoile qui éclairait leur planète avait déjà dépassé la ligne d'horizon, plongeant la tribu dans une noirceur précaire. La tente de Rorc, contrairement aux autres, n'était pas éclairée. Dels entra et déposa son morceau. Aussitôt, le morceau se brisa sous l'effet d'une déflagration. En levant la tête, Dels vit que son père était vêtu de son armure de combat. Son Gauntlet produisait encore une mince lueur après avoir tiré.
- Demain, tu fendras un arbre, déclara Rorc.
- Oui, Rorc.
- Va chasser. Tu ne dormiras qu'après avoir mangé.
- Oui, Rorc.
- Tu panseras et laveras tes plaies. Les prédateurs nocturnes détectent ton sang de très loin.
- Oui, Rorc.
Cette soirée-là, Dels ne lava pas ses plaies. Il voulait rencontrer un prédateur. Et il en rencontra un. Une lance primitive à la main, il attendait. Un signe, un bruit, un mouvement dans les ombres.
Une plante qui va contre le sens du vent. Aussitôt, un félin bondit, pensant trouver une proie facile... et s'empalant contre un bout de bois. Un coup de chance. Une blessure directe au ventricule. Dels vida la bête selon les techniques apprises, mangea le cœur transpercé ainsi que quelques muscles, enveloppa le reste de la viande dans un sac de peau qu'il avait préparé pour l'occasion et retira soigneusement la peau de l'animal. Un trophée digne du sang de Rorc.
Il revint au campement. Rorc, l'attendant son fils à l'entrée de la tente, le vit avec son précieux bagage. Dels déposa son sac de nourriture, la peau en main, et regarda son père fixement. Il attendit le reproche précédent la punition pour désobéissance.
- Tu n’as pas lavé tes plaies.
- Non, Rorc.
- Tu m'as désobéi.
- Oui, Rorc.
Toujours en tenue de combat, le père regarda longuement son fils, puis chargea son Gauntlet. Dels regarda la lueur s'accentuer, voyant le doux reflet de la mort honorable à travers se spectacle.
Mais la cible n'était pas le jeune Tavlek. D'un tour de poignet précis et rapide, Rorc toucha directement à la tête un autre prédateur, qui s'était infiltré dans le campement derrière Dels.
- Le Tyrjaïd est un prédateur qui vit en couple. Lorsque son compagnon meurt, l'autre embusque celui qui l'a tué afin de le tuer par la suite, au moment où qu'il dort.
Dels soutenait encore le regard de son géniteur. Son sang était un sang noble. Celui de son fils devait le rester, coûte que coûte.
- Mets cette peau sur la table et sale ta viande. Tu prépareras la fourrure afin qu'elle se préserve pour dix cycles, le temps que tu deviennes un guerrier. Va dormir ensuite.
- Oui, Rorc.
Cette nuit-là, Dels dormit d'un sommeil dépourvu de rêves.
***
C'était la journée du Passage pour Dels et trois autres jeunes Tavleks. Ils devaient partir en milieu naturel, armés seulement d'un long couteau à lame courbe, et tuer un prédateur. Ainsi, ils prouveraient à tous qu'ils n'étaient pas des proies, mais bien des guerriers. Dels avait choisi de ne pas prendre de lame. Il se confectionna un épieu rudimentaire à partir d'une branche de Fosk, l'arbre le plus résistant de ce secteur. S'il fallait qu'il devienne un guerrier, il fallait qu'il soit le meilleur.
Une arme n'est qu'un outil, et non pas une nécessité, pensa Dels en se remémorant les dernières paroles de Rorc, la journée précédente.
Il faut que je sois plus fort que mon arme, sinon je ne suis pas digne de l'utiliser. Rasséréné par ces pensée, il s'enfonça dans la forêt.
Il savait comment attirer un prédateur à lui. Son sang était un sang potent, un sang digne, donc plus alléchant pour des prédateurs d'envergure. Il en avait déjà eu la preuve, trois cycles plus tôt. Comme il avait préparé quelques jours plus tôt une gourde pleine de ce liquide, il en répandit sur la zone où il se trouvait. Ses sens étaient maintenant plus affûtés que précédemment. Il pourrait maintenant tuer deux prédateurs.
Ça n'empêcha pas les Tyrjaïds de s'approcher sans être vus. D'un geste rapide et précis, l'un d'eux bondit. Le jeune Tavlek ne fut que bloquer avec son bout de bois, qui fendit en deux sous la force de l'impact. Un bout dans chaque main, Dels se releva et attendit la prochaine attaque de la bête. Il ne prêtait aucunement attention à la seconde bête qui s'était précipité à partir de son angle mort. La chance voulut que la bête fasse un mince bruit avant d'attaquer. Cela ne laissa à l'aspirant guerrier qu'une plaie béante au ventre. C'était le prix qu'il avait dû payer pour lui avoir crevé un œil pendant le bond. Grognant, il attaqua avant que la bête n'ait pu se remettre de sa douleur. L'autre œil en pâtit, le bâton perforant le cerveau également. Plus qu'une bête.
L'animal, rendu frénétique par la perte de son partenaire, sauta sur Dels, le plaquant au sol et visant la gorge de ses crocs. Le Tavlek, bloquant tant bien que mal avec une de ses mains, frappait le flanc de la créature quadrupède avec son autre. Il frappa. Et frappa. Et frappa. Et à chaque coup, il voyait dans la bave et le sang du Tyrjaïd le crachat de Telv, qui l'avait envoyé à terre également, il y a trois cycles. Dans les grognements de la bête, il entendait encore : "Les larves, ce sont ceux qui sont à terre, pas ceux qui marchent."
- TU VAS VOIR QUI EST UNE LARVE!
C'est à ce moment que le prédateur s'écroula, ayant perdu trop de sang. Dels reprenait tranquillement sa respiration, le sourire à ses lèvres saignantes, à semi étouffée par le poids du prédateur qui l'avait choisi comme exécuteur et qui pendait maintenant mollement sur la presque totalité de son corps. Il se dégagea, banda ses blessures au visage, à la main et au ventre, prépara encore une fois les bêtes, rangea la nourriture dans son sac et se dirigeant vers le lieu de consécration. Aucune bête ne vint l'attaquer. Ils étaient avertis par l'odeur du sang de Tyrjaïd.
Je ne suis plus une proie, pensa Dels.
Cette forêt le sait, je suis un guerrier.
À son retour vers la communauté, il fut accueilli par les guerriers les plus forts du village, dont Rorc, dont on ne pouvait pas voir le visage, étant donné que chaque guerrier portait son armure de combat. On attendit les trois autres jusqu'au coucher du soleil. Les trois revinrent, avec des butins sensiblement différents, tous moins imposants que celui de Dels. On remit enfin la récompense ultime à trois d'entre eux : le Gauntlet. L'arme la plus perfectionnée du peuple Tavlek, avec laquelle ils étaient tant redoutés. Dès qu'il enfila le sien, Dels sentit tout le pouvoir qui lui passait dans les veines. Un pouvoir assez grand pour renverser des montagnes, pour abattre des géants, pour devenir le plus grand guerrier de tous. Le plus grand. On lui présenta ensuite le Tavlek qui n'avait pas réussi l'épreuve. Comme la coutume l'exigeait, ce dernier s'agenouilla devant Dels. Comme la coutume l'exigeait, Dels le regarda en pleine face. Comme la coutume l'exigeait, le vaincu sourit.
Comme la coutume l'exigeait, Dels lui accorda la mort des guerriers.
***
- Ôte-toi de mon chemin, Rorc!
- Je n'en vois pas l'utilité.
Dels et Rorc étaient de retour dans leur tente. Rorc se tenait entre son fils et la peau de Tyrjaïd qui était accrochée à la toile, ôtant lentement les pièces de sa propre armure dans le but d'aller se coucher.
- Cette peau est à moi!
- J'ai dit que je te la donnerai quand tu seras un guerrier.
- J'ai survécu le Passage! Que fais-tu de nos traditions?!
- Tu es guerrier de titre et probablement de force. Par contre, tu n'as pas l'âme d'un guerrier, dit Rorc en enlevant son propre Gauntlet, qu'il déposa à côté de sa couche, sans bouger de sa position.
- TU VAS VOIR, SI JE N'AI PAS L'ÂME! répliqua Dels, chargeant son arme en visant son géniteur.
Géniteur qui esquiva habilement, laissant la décharge plasmique brûler presque entièrement la peau située juste derrière. Désemparé, Dels laissa plusieurs ouvertures, dont Rorc profita. Sans verser une goutte de sueur, il envoya son fils face contre terre, l'étourdissant. Il en profita pour arracher le Gauntlet et l'envoyer à l'autre bout de la tente. Ne s'arrêtant pas à cette victoire, il commença à rouer de coups de pieds son rejeton.
- NE T'AI-JE PAS RÉPÉTÉ QU'UN GUERRIER DEVAIT UTILISER SON ARME?! Tu t'es laissé utiliser, Dels! TU es le guerrier, pas le Gauntlet! Si tu ne mises tes victoires que sur ce que tu as et non ce que tu es, TU ES FINI!
Dels ne prenait pas la peine de bloquer. La drogue se dissipant, il comprenait peu à peu ses torts et ne pouvait s'empêcher de ressentir la plus puissante honte qu'il ait jamais ressentie. Il avait, bien sûr, entendu parler du Gauntlet, et des effets néfastes de dépendance qu'il apportait, mais il s’était toujours juré d'être plus fort que la drogue. Il avait failli. Tout ce qu'il pouvait faire, maintenant, c'était de trouver en sa pénitence le moyen de devenir plus fort. Par sa souffrance, sa volonté n'en serait que renforcée. Il réussirait, la prochaine fois... si on lui en accordait une.
Après un certain temps, Rorc s'arrêta de frapper. Il alla à l'extrémité de la tente, ramassa le Gauntlet de Telv et le déposa dans la main de son propriétaire.
- Ce Gauntlet t'a été donné selon nos lois et je n'ai pas le droit de te le confisquer sans avoir prouvé que tu es en complet déshonneur. Tu iras au désert voisin, à deux jours solaires de marche. Pour l'instant, ton Gauntlet est au trois quarts plein. Si, d'ici dix jours solaires, tu parviens à survivre au désert et à revenir sans que la jauge n'aille plus bas que la moitié, je t'apprendrai à t'en servir.
- Oui, Rorc, dit Dels en se relevant.
Au bout de dix jours solaires, il revint avec un réservoir aux trois quarts plein. Ainsi commença son entraînement de guerrier.
***
Au bout de deux cycles, il avait réussi à utiliser le Gauntlet et à surmonter sa dépendance, tout en canalisant son agressivité de façon utile pour le clan. Le jour même où Telv devait faire son propre Passage. Comme Rorc devait être présent à l'évènement, Dels, par les liens du sang, le devait aussi. Durant une bonne partie de la journée, avec les membres officiels du village devant présider le rituel, il regarda fixement la forêt.
Allez, Telv, montre-nous que te garder en vie durant treize cycles ne fut pas la pire erreur de notre communauté. Finalement, alors que le soleil venait à peine de frôler l'horizon, le jeune Tavlek revint, avec deux têtes d'araignées géantes. Relâchant tout le poids qu'il avait sur les épaules, il ne put s'empêcher de tituber. On lui passa une à une ses pièces d'armure, qu'il apposait lui-même. C'est lorsqu'il passa le Gauntlet dans son bras que sa défaillance apparut clairement, tant le jeune Tavlek arrivait à peine à tenir sur ses jambes.
S'il te reste un peu de force, sert-en pour tenir droit! Réalisant soudain un fait étrange, Dels jeta un œil plus attentif aux blessures de Telv. Le long d'une des blessures, un liquide poisseux et jaune s'échappait lentement.
Ah, d'accord. Le venin de ces créatures empêche la drogue de se diffuser normalement dans ton organisme. Si tu survis au mélange, c'est que tu mérites le nom de Tavlek. Finalement, Telv se redressa avec un aplomb nouveau, comme s'il était investi d'une force plus grande qu'avant.
Ce fut le bon moment, car une décharge frappait son bouclier énergétique alors qu'il se retournait. L'attaquant était un adulte du nom de Vralek, un guerrier dont le seul point d'honneur auquel il puisse se rattacher est d'avoir tué Wellok l'Éclopé, père infirme de Telv. Le cercle Tavlek de duel se forma, tandis que le guerrier nouvellement consacré répliquait et se préparait au combat. Les échanges fusèrent, et on pouvait bien voir que Vralek, qui comptait bien achever le reste de la généalogie de Wellok, avait l'avantage au niveau de la technique.
Non, c'est une feinte, crétin! Mais Telv ne pouvait pas lire les pensées de Dels. Ainsi, le jeune Tavlek, qui pensait exploiter une faille dans la défense de l'adversaire, se retrouvait totalement exposé et reçut une décharge à l'épaule, du côté où il brandissait son Gauntlet, et tomba sur le sol. Vralek, profitant de son avantage, se précipita sur le corps pour l'achever à mains nues. C'était sans compter sur Telv, dont le bras fonctionnait toujours, on ne savait pas comment. La décharge plasmique qu'il envoya à son adversaire, en plus de la violence du coup qu'il venait d'infliger, envoya l'adulte traverser la ligne de Tavleks qui formaient les délimitations du duel. Vralek avait perdu. Sans autre forme de procès, on l'exécuta tandis que Telv se relevait. Le vainqueur, profitant de l'attention qui lui était portée pour mettre le poing à son cœur, signe qu'il souhaitait s'adresser au groupe. Il leva son Gauntlet vers le ciel.
- Cette arme nous fut montrée par le dieu Tev! Cette arme fait de nous des êtres dignes de ce dieu.
Il marcha jusqu'au cadavre du vaincu et détacha son Gauntlet, provoquant la stupéfaction générale. D'ordinaire, priver à quelqu'un mort au combat son arme était un crime condamnable de déshonneur.
- Celui-ci à perdu son droit de porter cette arme qui nous fut inspirée par Tev.
Selon les lois, c'était logique. En perdant face à un enfant, le perdant se déshonorait et se discréditait au sein de la tribu. Ce qui étonnait les quelques officiels présents, toutefois, c'est la sorte d'assurance tranquille qui émanait soudainement de la souillure du village. Telv prit quelques effets personnels dans un baluchon, puis se dirigea vers l'extérieur du village.
- Je ne vous abandonne pas, je vais juste propager la bonne nouvelle.
C'est parce que tu n'as pas compris, voilà tout, pensa Dels en voyant le jeune et autoproclamé prophète.
Tu t'es laissé complètement aveuglé par le Gauntlet. Depuis toutes ses années, tu es resté une larve, avec trop peu de volonté pour devenir un vrai membre de la communauté. Tu reviendras. Et si tu reviens et n'a rien appris, je m'assurerai, Van Kol, que tu ne sois plus que Kol.***
Six cycles passèrent. Durant ce laps de temps, Dels s'entraînait. Il se renforcissait à chaque jour. Il partit dans le désert, pour apprendre ce qu'il restait à apprendre. Puis en montagne. Puis dans les milieux plus humides. À chaque nouveau voyage qu'il préparait, il s'arrangeait afin de toujours être utile au clan. Il rapportait des produits de la chasse, de nouveaux outils ou bien des biens échangeables avec les cultures extrataviennes. De temps à autres, il partait dans les expéditions mercenaires vers d'autres planètes. Les autres cultures avaient appris à apprécier les attributs Tavleks, et ils payaient bien. Et s'ils ne payaient pas suffisamment, ils étaient tués, ou pris en otage si leur fonction sociale permettait une certaine forme de rançon. Durant ces voyages dans les contrées extrataviennes, Dels apprenait les bases du pilotage et de l'astronavigation, ce qui se révéla utile dans certaines situations.
Alors qu'il revenait au village avec une cargaison d'épices hyneriennes acquises lors de son voyage, il aperçut Tyoc, un de ses anciens compagnons de Passage, qui venait à sa rencontre.
- Quelles nouvelles, Tyoc?
- Rien de bon pour toi.
- Qu'est-ce que tu veux dire?!
- Telv est revenu. Avec plus d'une trentaine de guerriers.
Dels s'arrêta.
- Hrmph. Il a défié Getib en duel?
Getib était le chef du village depuis une dizaine de cycles. Il avait, comme beaucoup d'autres Tavleks, vu d'un mauvais œil la présence au village de ce rejeton.
- Non. Il vient de partir à bord d'un leviathan qui passait par là.
- QUOI?!
C'en était trop. Dels souleva de toutes ses forces le messager.
- Et pourquoi n'est-il pas mort, hein?! C'est un traître! Il n'a jamais été utile au village et quand il a pu l'être, il nous a quittés! VOUS AVEZ DE LA DREN À LA PLACE DU CERVEAU, OU QUOI?!
- C'est Getib qui a ordonné qu'on ne le défie pas!
- ET POURQUOI ÇA, HEIN?! CE FEKKIK AVAIT PEUR?!
- Ça allait provoquer une guerre de clans.
- Hein?
- Je te l'ai dit, il est revenu avec plus de trente guerriers. Et des femmes. Et des enfants.
Si Tyoc avait pu voir à travers la visière de Dels, il y aurait lu un mélange de respect et d'effarement. Le choc était pourtant tel que le guerrier déposa son compagnon.
- Il est... chef d'une tribu?
- Oui. Il a amené les siens ici.
- Et pourquoi il partirait, s'il a une tribu?
- Il disait vouloir propager la bonne nouvelle aux races extérieures. Il a laissé la garde de sa tribu à Getib, hormis une dizaine de guerriers qui doivent parcourir la planète afin de propager son message.
- C'est complètement fou.
- C'est aussi ce que Getib pense. C'est pour ça que je suis là. Getib ne veut pas que Dels revienne vivant de son périple.
- Pourquoi voudrait-il ça?
- Il veut agrandir la tribu.
- Ce frelling...
- Non, tu me comprends mal. Telv veut agrandir sa tribu. Il dit que nous devons tous être soumis à Tev, et il se dit son messager principal.
Dels réfléchit un temps, puis questionna à nouveau Tyoc:
- Comment je fais pour le rejoindre?
- Getib t'a prévu un vaisseau individuel. Avec sa petite taille, il devrait atteindre la destination du leviathan avant ce dernier. La prochaine et dernière planète sur laquelle va se poser le leviathan est Liantac, à ces coordonnées, dit-il en remettant une tablette de données à Dels.
- J'y vais seul?
- Getib veut faire en sorte de ne pas alarmer la tribu de Telv, et tu es celui qui quitte le plus fréquemment le village. Je m'étais porté volontaire pour t'accompagner, mais il a refusé. Tu seras considéré comme ayant agi de ta propre initiative.
- Il ne veut pas se salir les mains. Quand est-ce que je pars?
- Rorc a dit qu'il voulait te parler, avant.
- D'accord.
Dels se plongea dans le village. L'ambiance avait changé. Le nombre de Tavleks présents avait quasiment doublé, et les nouveaux arrivants semblaient plus agressifs, bien que plus désordonnés. Il déposa la cargaison d'épices dans l'entrepôt principal. Sans peine, il retrouva la tente de Rorc et y entra. Le géniteur était devant lui, à l'attendre. Malgré le fait qu'il vieillissait, il était encore un des meilleurs guerriers du village.
- Tu es sur le départ, Dels.
- Je sais, Rorc.
- Prend ça. Ces bêtes font partie des plus dangereux prédateurs de Tav, mais leur fourrure a la capacité de s'adapter facilement aux températures extrêmes.
Il pointait un manteau, fait probablement de sa main, en peau de Tyrjaïd.
- Un cadeau se mérite, Rorc.
- Ça fait trois cycles que je devais te le donner. Tu es un guerrier, maintenant.
Dels prit la peau.
- Je la grefferai à mon armure. Comment sont les nouveaux venus?
- Faibles. Ils ne jurent que par le Gauntlet, et ne l'enlèvent jamais.
- Qu'est-ce qu'ils font pour aider la tribu?
- La moitié chasse, l'autre produit de la drogue. Ils ne pensent à rien d'autre.
- Les choses vont changer quand je reviendrai. D'ici là, essaie de survivre. Je veux être celui qui te tuera.
Dels se dirigea ensuite vers la navette et partit. Il était plus que motivé pour cette mission.
Je serai arrivé quelques jours solaires avant toi, Van Kol. Je vais voir de mes propres yeux comment tu as progressé. Tandis que tu devenais chef, je me suis fait guerrier. En as-tu fait autant? Chef... Selon nos lois, je serai chef de la moitié de la tribu si je te vaincs. Rorc se chargera entretemps de les former. Je ne peux pas attendre de t'avoir en face de moi. Seras-tu toujours une larve, ou bien un Tavlek?Avertit par les signaux d'avertissement de la planète, il dut vendre son vaisseau afin de payer les frais de transport à l'intérieur de la planète. Il eut droit également à un nombre conséquent d'argent de poche, ce qui lui permit de se faire engager comme mercenaire au Casino, établissement principal de la planète, là où tous les vaisseaux de croisière vont se poser. Il se fit affecter aux missions à l'extérieur, ce qui lui permit de faire une reconnaissance des lieux. Dans un environnement où tout est désert, l'horizon change constamment. Mais Dels ne s'en préoccupait pas outre mesure. Il s'acclimatait et apprenait de ce paysage. De plus, le sable, c'est excellent pour éponger le sang...
[EDA : 50xp / Erreur grossière de l'admin]